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VIE DE RANCÉ

juteur menace Mazarin de ses tristes et intrépides regards. » Les grands génies doivent peser leurs paroles ; elles restent, et c’est une beauté irréparable.

Homme de beaucoup d’esprit, mais prélat sans jugement et évêque sacrilège, Retz contraria l’avenir de Dieu : il ne se douta jamais qu’il y eût plus de gloire dans un chapelet récité avec foi que dans tous les hauts et les bas de la destinée. Esprit aux maximes propres à des brouilleries plutôt qu’à des révolutions, il essaya la Fronde à Saint-Jean-de-Latran, se croyant toujours dans la Cour des Miracles. Indifférent et mélancolieux, cet Italien francisé se trouva sur le pavé lorsque Louis XIV eut jeté les baladins à la porte, même en respectant beaucoup trop en eux leur vie passée et l’habit qu’ils avaient sali. Place entre la Fronde, qui permettait tout, et le maître de Versailles, qui ne souffrait rien, le coadjuteur s’écriait : « Est-il quelqu’un pire que moi ? » avec le même orgueil que Rousseau s’écrie : « Est-il quelqu’un meilleur que moi ? » Retz continua ses passepieds jusqu’à sa mort : mais il faut être Richelieu pour ne pas s’amoindrir en dansant une sarabande, castagnettes aux doigts, et en pantalon de velours vert.