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LIVRE TROISIÈME

et des curés indigents. Il avait établi des maisons de travail et des écoles à Mortagne. Les maux auxquels il exposait ses moines ne lui paraissaient que des souffrances naturelles. Il appelait ces souffrances la pénitence de tous les hommes. La réforme fut si profonde que le vallon consacré au repentir devint une terre d’oubli.

Il résulta de cette éducation des effets que l’on ne remarque plus que dans l’histoire des Pères du désert. Un homme s’étant égaré entendit une cloche sur les huit heures du soir : il marche de ce côté et arrive à la Trappe. Il était nuit ; on lui accorda l’hospitalité avec la charité ordinaire, mais on ne lui dit pas un mot : c’était l’heure du grand silence. Cet étranger, comme dans un château enchanté, était servi par des esprits muets, dont on croyait seulement entendre les évolutions mystérieuses.

Des religieux en se rendant au réfectoire suivaient ceux qui allaient devant eux sans s’embarrasser où ils allaient ; même chose pour le travail : ils ne voyaient que la trace de ceux qui marchaient les premiers. Un d’entre eux pendant l’année de son noviciat ne leva pas une seule fois les regards : il ignorait comment était fait le haut de sa cellule. Un autre reclus fut trois ou quatre