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LIVRE TROISIÈME

fut question de la détruire, tant le monde était effrayé d’elle ; elle n’échappa à sa ruine que par l’habileté de Rancé : Port-Royal fut moins heureux.

Parti de Paris dans la nuit du 27 octobre 1709, d’Argenson investit Port-Royal-des-Champs avec trois cents hommes ; c’était trop pour enlever vingt-deux religieuses âgées et infirmes. Elles furent dispersées en différents lieux ; et l’on refusa quelquefois la sépulture à ces brebis, esseulées du troupeau de la mère Angélique.

Enfin l’ordre de la démolition du couvent arriva le 25 janvier 1710, dix ans après la mort de Rancé. Cet ordre fut exécuté avec fureur, selon Duclos. Les cadavres étaient déterrés au bruit de ricaneries obscènes, tandis que dans l’église les chiens se repaissaient de chair décomposée. Les pierres tumulaires furent enlevées ; on a trouvé à Magny celle d’Arnauld d’Andilly. La maison de M. de Sainte-Marthe devint une grange ; les bestiaux paissent sur l’emplacement de l’église de Port-Royal-des-Champs : « La clématite, le lierre et la ronce, dit un voyageur, croissent sur cette masure, et un marsaule élève sa tige au milieu de l’endroit où était le chœur. Le silence est à peine interrompu par le gémissement du