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LIVRE QUATRIÈME

duisît la musique dans son couvent : elle en écrivit à Rancé ; l’abbé répondit : « La musique ne convient point à une règle aussi sainte et aussi pure que la vôtre ; est-il possible que vos sœurs soient si aveugles et aient les yeux tellement fermés qu’elles ne s’aperçoivent pas qu’elles introduiraient un abus dont elles doivent avoir un entier éloignement ! »

Rancé était de l’avis des magistrats de Sparte : ils mirent à l’amende Terpandre pour avoir ajouté deux cordes à sa lyre. Les nonnes persistèrent ; le monde rit de ces discordes, qui pensèrent renverser une grande communauté. Le ciel mit fin aux divisions, comme Virgile nous apprend que l’on apaise le combat des abeilles : un peu de poussière jetée en l’air fit cesser la mêlée. Il survint aux religieuses qui voulaient chanter, des rhumes : elles reconnurent que la main de Dieu s’appesantissait sur elles. Rancé du reste avait raison : la musique tient le milieu entre la nature matérielle et la nature intellectuelle ; elle peut dépouiller l’amour de son enveloppe terrestre ou donner un corps à l’ange : selon les dispositions de celui qui écoute, ses accords sont des pensées ou des caresses. À peine les poètes chrétiens de l’antiquité ont-ils permis qu’on fît enten-