Page:Chateaubriand - Vie de Rancé, 2è édition, 1844.djvu/294

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
278
VIE DE RANCÉ

eut compté les étoiles en ne se fiant à aucune, attendant l’aurore qui ne lui eût apporté que l’ennui du cœur et la difformité des jours. Aujourd’hui il n’y a plus rien de possible, car les chimères d’une existence active sont aussi démontrées que les chimères d’une existence désoccupée. Si le ciel eût mis aux bras de Rancé les fantômes de sa jeunesse, il se fût tôt fatigué de marcher avec des Larves. Pour un homme comme lui il n’y avait que le froc ; le froc reçoit les confidences et les garde ; l’orgueil des années défend ensuite de trahir le secret, et la tombe le continue. Pour peu qu’on ait vécu, on a vu passer bien des morts emportant leurs illusions. Heureux celui dont la vie est tombée en fleurs ! élégances de l’expression d’un poète qui est femme.

Ce que l’on serait souvent tenté de prendre dans Rancé pour les allures et les pensées d’un tout jeune homme, n’était que le sentiment d’un vieillard décrépit qui ne marchait plus et dont la tête était enfoncée dans un froc, comme une de ces momies de moine que renfermaient les caveaux de quelques anciens monastères. Les os de Rancé s’étaient cariés ; il ne possédait plus que deux grands yeux où avait circulé la passion et où se montrait encore l’intelligence. Réduit à