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VIE DE RANCÉ

dont le vent aurait soufflé en l’air la chevelure ; de près cette femme s’incorpore dans la maçonnerie et se change en tours ; c’est alors Clorinde appuyée sur des ruines. Le caprice d’un ciseau volage n’a pas disparu ; la légèreté et la finesse des traits se retrouvent dans le simulacre d’une guerrière expirante. Quand vous pénétrez en dedans, la fleur de lis et la salamandre se dessinent dans les plafonds. Si jamais Chambor était détruit, on ne trouverait nulle part le style premier de la Renaissance, car à Venise il s’est mélangé.

Ce qui rendait à Chambor sa beauté, c’était son abandon : par les fenêtres j’apercevais un parterre sec, des herbes jaunes, des champs de blé noir : retracements de la pauvreté et de la fidélité de mon indigente patrie. Lorsque j’y passai, il y avait un oiseau brun de quelque grosseur qui volait le long du Cosson, petite rivière inconnue.

L’abbé Le Bouthillier se logea parmi les moines de son prieuré : de quelque côté qu’on ouvrit une fenêtre, on ne voyait que des bois. Le château, près duquel n’a pas même pu se former un village, est frappé de malédiction. Touché par le vainqueur de Marignan prisonnier à Madrid, par nos soldats dispersés après Waterloo, par les marques