Page:Chateaubriand - Voyage en Italie, édition 1921.djvu/121

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grands objets, sont peu propres à faire naître les grandes pensées ; leur grandeur étant pour ainsi dire en évidence, tout ce qu’on ajoute au delà du fait ne sert qu’à le rapetisser. Le nascitur ridiculus mus est vrai de toutes les montagnes.

Je pars de l’ermitage à deux heures et demie ; je remonte sur le coteau de lave que j’avais déjà franchi : à ma gauche est la vallée qui me sépare de la Somma, à ma droite la plaine du cône. Je marche en m’élevant sur l’arête du coteau. Je n’ai trouvé dans cet horrible lieu, pour toute créature vivante, qu’une pauvre jeune fille maigre, jaune, demi-nue, et succombant sous un fardeau de bois coupé dans la montagne.

Les nuages ne me laissent plus rien voir ; le vent, soufflant de bas en haut, les chasse du plateau noir que je domine, et les fait passer sur la chaussée de lave que je parcours : je n’entends que le bruit des pas de ma mule.

Je quitte le coteau, je tourne à droite et redescends dans cette plaine de lave qui aboutit au cône du volcan et que j’ai traversée plus bas en montant à l’ermitage. Même en présence de ces débris calcinés, l’imagination se représente à peine ces champs de feu et de métaux fondus au moment des éruptions du Vésuve. Le Dante les avait peut-être vus lorsqu’il a peint dans son Enfer ces sables brûlants où des flammes éternelles descendent lentement et en silence, come di neve in Alpe senza vento.