Page:Chateaubriand - Voyage en Italie, édition 1921.djvu/76

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transparent à la crête des monts ; leurs dentelures se traçaient avec une pureté extraordinaire sur le ciel, tandis qu’une grande nuit sortait peu à peu du pied de ces monts, et s’élevait vers leur cime.

J’entendais la voix du rossignol et le cri de l’aigle ; je voyais les aliziers fleuris dans la vallée et les neiges sur la montagne : un château, ouvrage des Carthaginois, selon la tradition populaire, montrait ses débris sur la pointe d’un roc. Tout ce qui vient de l’homme dans ces lieux est chétif et fragile ; des parcs de brebis formés de joncs entrelacés, des maisons de terre bâties en deux jours : comme si le chevrier de la Savoie, à l’aspect des masses éternelles qui l’environnent, n’avait pas cru devoir se fatiguer pour les besoins passagers de sa courte vie ! comme si la tour d’ Annibal en ruine l’eût averti du peu de durée et de la vanité des monuments !

Je ne pouvais cependant m’empêcher, en considérant ce désert, d’admirer avec effroi la haine d’un homme, plus puissante que tous les obstacles, d’un homme qui du détroit de Cadix s’était frayé une route à travers les Pyrénées et les Alpes pour venir chercher les Romains. Que les récits de l’antiquité ne nous indiquent pas l’endroit précis du passage d’Annibal, peu importe ; il est certain que ce grand capitaine a franchi ces monts alors sans chemins, plus sauvages encore par leurs habitants que par