Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/174

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Or, puisqu’elle ne fut pas massacrée au festin
qui la garda d’être noyée en mer ?
Qui garda Jonas dans le ventre du poisson
jusqu’à ce qu’il fût vomi à Ninive ?
L’on peut bien savoir que ce ne fut nul autre que Celui
qui garda le peuple hébreu d’être noyé
490lors de son passage à pied sec au travers de la mer.

Qui donna cet ordre aux quatre esprits de la tempête
qui ont le pouvoir de tourmenter la terre et la mer :
« Tant au nord qu’au sud, à l’ouest non plus qu’à l’est
ne tourmentez ni la mer, ni la terre, ni l’arbre » ?
En vérité, ce fut ce Maître-là
qui toujours garda cette femme de la tempête
aussi bien lorsqu’elle veillait que lorsqu’elle dormait.

D’où cette femme pouvait-elle avoir à manger et à boire ?
Pendant trois ans et plus comment dura sa provision ?
500Qui nourrit Marie l’égyptienne dans sa caverne[1],
ou au désert ? nul autre que le Christ, sans faute.
Ce fut aussi grande merveille de nourrir cinq mille personnes
avec cinq pains et avec deux poissons.
Dieu envoya foison à Constance dans son grand besoin.

Elle fut poussée dans notre océan
à travers notre mer courroucée, jusqu’à ce qu’enfin
sous un fort que je ne puis nommer
la vague la jeta bien loin dans le Northumberland
et dans le sable le vaisseau s’arrêta si fixement
510qu’il ne voulut partir de toute une heure.
La volonté du Christ était qu’elle y demeurât.

Le connétable du château est descendu
pour voir le vaisseau naufragé ; il fouilla tout le navire,
et découvrit cette femme lasse et pleine de soucis.
Il découvrit aussi le trésor qu’elle emportait.
Dans son langage elle demanda la grâce
que l’on ôtât la vie de son corps
pour la délivrer du malheur où elle était.

  1. Il s’agit d’une sainte du v* siècle après J.-C. qui passa 47 ans au désert au-delà du Jourdain.