Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/175

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Sa langue était une sorte de latin corrompu,
520mais pourtant par là elle se fit comprendre.
Le connétable, quand il eut fouillé à son content,
ramena à terre cette femme malheureuse.
Elle s’agenouilla et remercia Dieu de sa bonté,
mais qui elle était, elle ne voulut le dire à personne
pour rien au monde, quand elle en devrait mourir.

Elle dit qu’elle avait été si étourdie par les flots
qu’elle en avait perdu la mémoire, par sa foi !
Le connétable eut d’elle si grande compassion
et sa femme aussi, qu’ils en pleurèrent de pitié.
530Elle était si diligente, sans paresse,
à servir et plaire à un chacun en ce lieu
que tous l’aimaient qui regardaient son visage.

Ce connétable et dame Hermengilde sa femme
étaient païens, comme l’était partout ce pays-là.
Mais Hermengilde l’aima comme sa propre vie
et Constance demeura là si longtemps
en oraisons, avec maintes larmes amères,
que Jésus à la fin convertit par sa grâce
dame Hermengilde, connétablesse de ce lieu.

540Dans tout ce pays nuls chrétiens n’osaient se réunir ;
toutes les personnes chrétiennes avaient fui ce pays
en raison des païens qui conquirent tout à l’entour
les régions du Nord par terre et par mer.
En Galles s’était enfuie la chrétienté
des anciens Bretons habitant cette île.
Là fut leur refuge pendant ce temps.

Mais les Bretons chrétiens n’étaient pas à ce point exilés
qu’il n’en restât quelques-uns qui en leur privé
honoraient le Christ et échappaient aux païens,
550et près du château il en demeurait trois.
L’un était aveugle et ne pouvait voir,
si ce n’est des yeux de l’esprit
dont les hommes voient, quand ils sont devenus aveugles,

Le soleil brillait comme en un jour d’été.
Aussi le connétable ainsi que sa femme