Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/198

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un seul mot de ce que vous me direz ici —
et non par cousinage ou nulle autre alliance,
1330mais vraiment par amour et confiance. »
Ayant ainsi juré et sur ce s’embrassant,
chacun dit à chacun tout ce qu’il lui plaisait.
« Cousin, (dit-elle,) eusse-je un peu de temps
(mais point n’en ai, surtout en cet endroit),
alors je vous dirais le conte de ma vie,
tout ce que j’ai souffert, depuis que suis mariée,
avecques lui, encor qu’il soit votre cousin. »
— « Non pas, (fit-il,) n’en plaise à Dieu et Saint Martin !
Il n’est pas davantage mon cousin
1340que cette feuille là, qui pend à l’arbre !
Mais je l’appelle ainsi, par Saint-Denis de France,
pour avoir un peu plus de raison d’accointance
avec vous, que toujours j’aimai spécialement,
eL par delà toute autre femme en vérité ;
et vous jure cela sur ma profession[1].
Dites-moi votre peine avant qu’il ne descende
et hâtez-vous, et puis allez votre chemin. »
— « Mon cher ami, (dit-elle,) ô mon Dom Jean !
Volontiers ce secret j’aurais tenu caché…
1350Mais hors lui faut ! ne puis plus l’endurer !
Mon époux est pour moi bien le plus méchant homme
qui fut jamais depuis que commença le monde…
Mais puisque suis sa femme, il ne me sied de dire
à quiconque aucun point de notre privauté,
que ce soit en mon lit, ou autre lieu,
et qu’en sa grâce Dieu m’épargne d’en rien faire !…
Une femme ne doit parler de son époux
qu’en tout honneur, autant que je l’ai pu comprendre,
— sauf à vous cependant ; — et ceci dois vous dire :
1360aussi vrai que je veux que Dieu m’aide, cet homme
eu nul degré ne vaut même une mouche !
Mais plus que tout m’est à chagrin sa chicheté.
Vous savez bien que toutes femmes, par nature,
désirent, comme moi, les six choses qui suivent :
elles veulent que leurs maris

  1. C'est-à-dire par les vœux que j’ai prononcés en me faisant moine.