Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/212

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1820ceux qui savaient ce meurtre — et vitement fut fait ;
point ne montra d’égards pour ces vilains maudits.
« Ceux-là iront à mal qui mal ont mérité »
et donc les fit tirer par des chevaux sauvages,
et puis pendre ainsi que la loi le commandait.

Et l’innocent gisait encore sur sa bière,
devant le maître-autel, tant que messe dura ;
et puis l’abbé s’en vint avecques son couvent
sans rien tarder pour l’enterrer rapidement ;
et comme l’eau bénite était sur lui jetée,
1830l’enfant parlait toujours, pendant qu’on l’aspergeait,
et chantait O Alma Redemptoris mater !

Cet abbé justement était homme fort saint,
(ainsi que moines sont, ou du moins devraient être ;)
adonc se mit à conjurer ce jeune enfant,
disant : « O cher enfant ! je te supplie,
au nom de la très sainte Trinité,
dis-moi par quelle cause ainsi tu peux chanter,
puisque tu as gorge coupée à ce que semble ? »

« — Oui, ma gorge est coupée jusqu’à l’os de la nuque,
1840(dit cet enfant,) et certes par voie de nature
je serais trépassé déjà depuis longtemps ;
mais Jésus-Christ, comme pouvez le voir aux Livres,
veut que sa gloire dure et reste en la mémoire,
et doncques pour l’honneur de sa Mère très chère,
je puis encor chanter O Alma ! haut et clair.

Car ce puits de merci, douce mère du Christ,
ai-je toujours aimé, autant que je pouvais,
et comme justement j’allais perdre ma vie,
elle s’en vint à moi, et m’ordonna chanter
1850tout justement cette antienne en mourant,
comme avez entendu ; et quand je l’eus chantée,
me sembla mettre sur ma langue un grain de blé.

Et c’est pourquoi je chante et chante en vérité
pour l’honneur de la bonne et bienheureuse Vierge,
jusqu’à ce que ma langue ait perdu cette graine.
Et puis après cela elle me dit encore :