Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/232

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Jamais homme au monde n’eut si haut état
qu’Adam jusqu’à ce que pour s’être méconduit
il fut dépouillé de sa haute prospérité
et voué au labeur, à l’enfer, et au malheur.


Samson[1].

Voici Samson dont la venue fut annoncée[2]
par l’ange longtemps avant sa naissance,
et qui fut consacré à Dieu tout-puissant,
et vécut glorieux tant qu’il put voir.
Oncques n’y eut autre tel que lui,
3210 en fait de force et aussi de bravoure ;
mais à ses femmes[3] il dit son secret
à cause de quoi il se tua, d’infortune.

Samson, ce noble champion tout puissant,
sans armes autres que ses deux mains
tua et mit en pièces le lion
sur la route en allant a ses noces.
Sa femme fausse sut lui plaire et le prier si bien
qu’elle apprit son dessein, et déloyale
elle trahit ce dessein à ses ennemis,
3220 et l’abandonna et en prit un autre.

Trois cents renards Samson prit de colère,
et toutes leurs queues il lia ensemble,
et mit le feu à toutes les queues de ces renards,
car à chaque queue il avait attaché une torche ;
et ils brûlèrent tous les blés dans le pays,
et tous leurs oliviers et leurs vignes aussi.
Mille hommes encore il tua de sa main,
et n’avait d’autre arme qu’une mâchoire d’âne.

Quand ils furent tués, il lui vint telle soif qu’il
3230 était près de périr, pour quoi il se mit à prier
que Dieu voulût prendre pitié de sa peine

  1. L’histoire de Samson est aussi dans Boccace, mais Chaucer semble surtout s’être servi de la Bible, Judicum, cap. XIII, — cap. XVI.
  2. La naissance de Samson fut annoncée à sa mère par un ange, Judicum, XIII, 3.
  3. Il épousa d’abord une Philistine de Timnath, puis il aima Dalila de la vallée du Sorec ; à la première il confia la solution de son énigme et à la seconde le secret de sa force.