Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/244

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en sa prison te fit mourir ;
mais pourquoi et comment tu fus tué, je l’ignore.


De Hugolino, comte de Pise[1].

Le supplice du comte Hugolin de Pise
nul ne pourrait, de pitié, le décrire ;
mais à peu de distance de Pise s’élevait une tour,
3600 et dans cette tour il fut mis en prison
et avec lui ses trois jeunes enfants[2].
L’aîné avait à peine cinq ans.
Triste sort ! c’était grande cruauté
de mettre de tels oiseaux en une telle cage !

Il fut condamné à mourir dans cette prison,
car Roger[3], qui était évêque de Pise,
avait porté sur lui une accusation fausse,
à cause de laquelle le peuple se souleva contre lui,
et le mit en prison de telle manière
3610 que je vous ai dit, et de nourriture et de boisson il avait
si peu, qu’à peine elles pouvaient suffire,
et de plus elles étaient fort communes et mauvaises.

Et un jour il arriva qu’à l’heure
où on lui apportait d’habitude à manger,
le geôlier ferma la porte de la tour.
Il l’entendit bien, — mais ne dit mot,
et en son cœur aussitôt lui vint la pensée
qu’on voulait le faire mourir de faim.
« Hélas ! (dit-il,) hélas, pourquoi suis-je né ? »
3620 À ces mots les larmes tombèrent de ses yeux.

Son jeune fils qui avait trois ans,
lui dit : « Mon père pourquoi pleurez-vous ?
Quand le geôlier apportera-t-il notre potage ?
N’y a-t-il pas quelque morceau de pain que vous ayez gardé ?
J’ai si faim que je ne puis dormir.
Oh, plût à Dieu que je pusse dormir toujours

  1. Chaucer nous indique lui-même l’original où il a puisé cette « Tragédie » cf. v. 3650.
  2. Dante parle de quatre fils.
  3. Roger, c’est-à-dire l’archevêque Ruggieri degli Ubaldini, qui était l’ennemi d’Ugolin.