Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/245

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alors la faim ne se glisserait plus dans mon sein ;
rien ne me ferait plus de plaisir, sauf du pain. »

Ainsi tous les jours pleura cet enfant,
3630 jusqu’au moment où sur les genoux de son père il se coucha
et dit : « Adieu mon père, je vais mourir, »
et il embrassa son père et mourut ce même jour.
Et quand le pauvre père le vit mort,
de douleur il se mordit les bras
3635 et dit : « Hélas, fortune, hélas !
c’est bien à ta roue félonne que je dois tous mes maux ! »

Ses enfants pensèrent que c’était de faim
qu’il se rongeait les bras, et non de douleur,
et dirent : « Père ne faites pas ceci, hélas !
3640 mais bien plutôt mangez de notre chair à nous deux ;
vous nous avez donné notre chair, prenez-nous notre chair
et mangez tant que vous voudrez. » Ainsi parlèrent-ils,
puis un jour ou deux plus tard,
ils se couchèrent sur ses genoux et moururent.

3645 Lui-même désespéré mourut aussi de faim ;
ainsi finit ce puissant comte de Pise ;
de haut état la fortune l’a abattu.
De cette tragédie j’en ai dit assez.
Si quelqu’un veut la connaître plus au long
3650 qu’il lise le grand poète d’Italie
qui a nom Dante, car lui la peut conter
de point en point sans en omettre un mot.


Néron[1].

Bien que Néron eût autant de vices
qu’aucun des démons qui sont dans l’abîme,
néanmoins, à ce que nous rapporte Suétone[2],
il eut en sa domination ce vaste monde,
à l’est, comme à l’ouest, au sud comme au septentrion ;
de rubis, de saphirs et de blanches perles
tous ses habits étaient brodés de haut en bas ;
3660 car il trouvait aux pierreries grand plaisir.

  1. Boccace, De Casibus Virorum, lib. VII, 4 ; Boëce, De Cons. Phil., II, 6, et III, 4. Le Roman de la Rose renferme aussi un passage sur Néron.
  2. Chaucer ne suit pas le récit de Suétone de très près. Il le mentionne surtout à titre de référence. C’est plutôt Boccace et Boëce qu’il imite.