Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/246

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Plus raffiné, plus somptueux de mise,
plus orgueilleux que lui jamais ne fut aucun empereur ;
le vêtement qu’il avait porté un seul jour,
après ce temps il ne le voulait plus voir jamais.
De filets d’or il avait grande abondance
pour pécher dans le Tibre, quand il souhaitait se distraire.
Ses désirs étaient la seule loi dans ses décrets,
car la fortune lui obéissait comme une amie.

Il brûla Rome pour son amusement ;
2670 un jour il mit a mort les sénateurs,
pour entendre pleurer et crier des hommes ;
et il tua son frère, et coucha avec sa sœur.
En piteux état il mit sa mère ;
car il lui perça le sein, pour voir
où il avait été conçu ; fallait-il, hélas !
qu’il fit si peu de cas de sa mère !

De ses yeux, à cette vue, aucune larme
ne tomba, il dit seulement : « C’était une belle femme. »
C’est grande merveille qu’il osât ou qu’il pût
3680 se faire juge de sa beauté morte.
Il commanda qu’on lui apportât du vin,
et but sur le champ ; autrement il ne montra aucune douleur.
Quand la puissance est jointe à la cruauté,
hélas ! trop profondément pénètre le venin[1] !

Dans sa jeunesse cet empereur eut un maître
pour l’instruire en savoir et courtoisie,
car de la vertu il était la fleur
en son temps, si les livres ne mentent ;
et tant que ce maître l’eut sous son autorité,
3690 il le rendit si savant et si docile
que de longtemps la tyrannie
ni aucun vice n’osèrent découpler[2] sur lui.

Ce Sénèque, dont je parle,
parce que Néron en avait telle crainte,

  1. Tout ce passage (v. 3669-3684) est presque littéralement traduit de Boëce, II. 6.
  2. Découpler. Expression de vénerie, litt. lâcher les chiens sur une proie, en détachant la laisse qui les couple.