Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/250

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mais en une litière on le porta,
tout meurtri, autant du dos que des côtés.

La vengeance de Dieu le frappa si cruellement
qu’au travers de son corps rampaient des vers impurs ;
et de plus il exhalait une telle puanteur,
que de tous les serviteurs qui le soignaient,
qu’il fût éveillé ou bien endormi,
3810 nul à cause de cette puanteur ne pouvait résister.
En ce triste état il se lamenta et pleura,
et reconnut Dieu pour le maître de toutes les créatures.

À toute son armée et à lui-même aussi
l’odeur de sa carcasse était répugnante ;
personne ne pouvait le porter.
Et dans cette puanteur et cette horrible peine
il mourut misérablement sur une montagne.
Ainsi ce voleur et cet homicide,
qui avait fait pleurer et gémir bien des gens,
3820 reçut la récompense qui convient à l’orgueil.


De Alexandro[1].

L’histoire d’Alexandre est si commune
que quiconque a l’âge de raison
sait quelque chose de sa fortune, sinon tout.
Le monde entier, en somme,
il conquit de vive force, ou bien à cause de sa grande renommée
on était trop heureux de lui envoyer des offres de paix.
Il abaissa l’orgueil des hommes et des bêtes,
partout où il alla, jusqu’aux confins du monde.

Jamais encore comparaison n’a pu être faite
3830 entre lui et aucun autre conquérant ;
car tout l’univers a tremblé par crainte de lui ;
il était la fleur de chevalerie et de générosité ;
la fortune le fit héritier de ses honneurs ;
sauf le vin et les femmes rien ne pouvait affaiblir
ses grands desseins de guerre et de travail ;
tant il était rempli d’un courage léonin.

  1. Pour cette « tragédie », Chaucer n’a eu qu’à puiser dans ces œuvres innombrables qui forment le cycle d’Alexandre.