Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/295

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— « Par Sainte Marie, (dit le tavernier,)
cet enfant dit vrai, car il a tué cet an,
à plus d’un mille d’ici, dans un grand village,
homme, femme, enfant, manant et page.
Je crois qu’il habite par là.
690Être sur ses gardes serait grande sagesse
avant qu’il puisse faire malheur à quelqu’un. »
— « Quoi ! par les bras de Dieu, (dit notre débauché,)
est-ce un tel péril que de le rencontrer ?
je le chercherai par voie et par chemin,
j’en fais vœu par les os sacrés du Christ.
Écoutez, camarades, nous trois ne faisons qu’un ;
que chacun de nous tende la main à l’autre,
et que chacun soit un frère pour l’autre,
et nous tuerons ce traître félon de Mort.
700On le tuera, lui qui en a tant tué,
par la dignité de Dieu, et avant qu’il soit nuit. »
Et ensemble ces trois se jurèrent leur foi
de vivre et mourir l’un pour l’autre
comme s’ils étaient frères nés.
Et ils s’en furent tout ivres, dans leur colère,
et les voilà partis vers ce village
dont le tavernier avait parlé devant.
Ils juraient beaucoup d’horribles serments
et mettaient en pièces le corps béni du Christ :
710 « Ils mettront Mort à mort si seulement ils le prennent. »
Ils n’étaient pas allés tant qu’un demi-mille,
juste comme ils allaient franchir une barrière,
un homme vieil et pauvre ils rencontrèrent.
Ce vieux homme les salua bien humblement
et parla ainsi : « Or, seigneurs, Dieu vous garde ! »
Le plus hardi de ces trois débauchés
lui répartit : « Qu’est-ce ? vilain à la triste mine,
pourquoi es-tu tant enveloppé sauf la face ?
pourquoi vis-tu si longtemps en si grand âge ? »
720Ce vieil homme se mit à le regarder au visage
et dit ainsi : « C’est que je ne puis trouver
un homme, quand je marcherais jusqu’en Inde,
ni dans les cités ni dans aucun village,
qui voudrait troquer sa jeunesse contre mon âge,