mais j’ai, toute ma vie, suivi mon appétit,
que l’on fût court ou long, que l’on fût noir ou blanc[1] ;
je ne regardais pas, quand le galant m’allait,
s’il était pauvre hère ou d’un rang qui fût bas.
Que vous dirai-je plus ? A la fin de ce mois,
ce gaillard Janequln, ce clerc si gracieux,
et moi fûmes unis en solennité grande,
et je lui apportai tout l’avoir et la terre
qu’à moi-même, devant, on avait apportés.
Mais avant bien longtemps il m’en repentit fort.
Il ne me passait point la moindre volonté.
Pardieu, il me donna un beau jour tel soufflet,
pour ce que de son livre j’arrachai un feuillet,
que du coup j’eus l’oreille qui resta toute sourde.
J’étais une indomptable, j’étais une lionne,
et j’avais langue prête à toujours quereller,
et ne cessai d’aller, tout ainsi que devant,
de maison en maison, quoi qu’il en eût juré.
C’est pourquoi bien souvent mon mari sermonnait
et des gestes parlait des Romains d’autrefois[2],
comment Simplicius Gallus quitta sa femme
et de toute sa vie ne la reprit jamais,
pource que seulement il la vit tête nue
qui, par un beau matin, regardait à sa porte.
Il me nommait encore certain autre Romain
qui, pour ce que sa femme fut à des jeux d’été,
à son insu, l’avait, lui aussi, délaissée,
et puis dedans sa Bible il allait me chercher
ce diable de proverbe de l’Ecclésiaste
où l’écrivain enjoint cette défense étroite :
« Mari ne laissera femme courir la rue[3] ».
Puis il disait encore ce qui suit, sans nul doute :
« Qui bâtit en osier sa maison tout entière,
et pique son cheval aveugle en les jachères,
et permet à sa femme de courir sanctuaires,
il est digne d’orner fourches patibulaires ».
Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/321
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.