Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était que la reine et d’autres dames encore
implorèrent si longtemps la grâce du roi
qu’il lui laissa la vie en ce lieu,
et le donna à la reine tout à sa discrétion,
pour choisir si elle le voulait sauver ou faire mourir.
La reine remercia le roi de tout son cœur,
900et après cela elle parla ainsi au chevalier,
quand elle vit son moment, un certain jour :
« Tu es toujours (dit-elle), en tel état
que tu n’es point encore assuré de ta vie.
Je t’accorde la vie sauve si tu peux me dire
quelle est la chose que les femmes désirent le plus.
Penses-y bien et garde ta nuque du fer.
Et si tu ne peux le dire à cette heure,
eh bien ! je te donnerai loisir d’aller
douze mois et un jour pour chercher et apprendre
910une réponse convenable à cette question.
Et avant que tu partes, je veux avoir caution
que tu livreras ton corps en ce lieu. »
Le chevalier fut bien affligé et soupira tristement,
mais quoi ! il ne peut faire tout comme il lui platt.
Et à la fin il choisit de partir
et de revenir sûrement à la fin de l’année,
avec la réponse que Dieu lui voudrait fournir ;
puis prend son congé et se met en route.
Il cherche par toutes maisons et tous endroits
920où il espère avoir l’heur
d’apprendre quelle chose les femmes aiment le plus ;
mais il ne réussit à aborder sur aucune côte
où il pût découvrir sur ce point
deux personnes pour s’accorder ensemble.
Les uns dirent que les femmes aiment mieux la richesse,
d’aucuns dirent l’honneur, d’aucuns dirent les plaisirs,
les uns, riches atours, les autres mener déduit au lit
et plusieurs fois se trouver veuves et se remarier.
Les uns dirent que nos cœurs sentent le plus d’aise
930quand nous nous voyons flattées et chatouillées ; —
qui dit cela touche de près la vérité, je l’avoue ;
un homme nous gagnera le mieux par la flatterie ;
c’est par les attentions et par les services