Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et je vais te le dire avant qu’il soit nuit. »
« Reçois ici ma foi (dit le chevalier), je te la donne. »
« Alors (dit-elle), j’ose bien me vanter
que ta vie est sauve, car je me fais forte
sur ma vie, que la reine dira comme moi.
Voyons quelle sera la plus glorieuse d’elles toutes
qui porte sur la tête couvre-chef ou réseau,
1020qui osera contredire à ce que je vais t’apprendre ;
allons, en route sans plus de discours. »
Lors, elle lui chuchota sa leçon en l’oreille,
et lui dit de se réjouir et de n’avoir crainte.
Quand ils furent arrivés à la cour, le chevalier
dit qu’il revenait au jour fixé, comme il l’avait promis,
et sa réponse était, disait-il, prête.
Mainte noble dame et mainte fille
et mainte veuve, car celles-ci sont avisées,
la reine elle-même siégeant comme juge,
sont assemblées, pour ouïr sa réponse ;
1030et ensuite le chevalier reçut l’ordre de paraître.
A tout le monde fut commandé silence,
et le chevalier fut invité à dire en l’audience
quelle chose les femmes de ce monde aiment le mieux.
Le chevalier ne se tint pas muet comme fait une bête,
mais à la question aussitôt répondit,
d’une voix forte, si bien que toute la cour l’entendit :
« Ma dame suzeraine, partout (dit-il),
les femmes désirent avoir souveraineté
aussi bien sur leur mari que sur leur amant,
1040et d’être les maîtresses et de les dominer ;
c’est là votre plus grand plaisir, dussiez-vous me faire mourir,
faites ce que vous voudrez, je suis entre vos mains. »
En toute la cour il n’y eut ni femme ni fille
ni veuve qui contredit son dire,
mais toutes s’écrièrent qu’il était digne d’avoir la vie.
Et sur ce mot se leva la vieille femme
que le chevalier avait ue assise en la prairie :
« De grâce (dit-elle), madame ma reine souveraine,
avant que votre cour se sépare, faites moi droit.
1050J’ai enseigné cette réponse au chevalier,
pour laquelle il m’a juré sa foi là-bas,