Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/381

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de bonnes mœurs assises dans une grande bonté,
410elle était si discrète et belle d’éloquence,
si douce et si digne de respect,
elle savait si bien conquérir les cœurs de ses sujets,
que chacun l’aimait, rien qu’à voir son visage.

Ce n’était pas seulement dans la ville de Saluces
qu’était publiée sa belle renommée,
mais, ailleurs aussi, dans mainte région,
quiconque parlait bien d’elle trouvait assentiment,
si loin s’était répandu le bruit de sa haute vertu
qu’hommes et femmes, jeunes et vieux,
420venaient à Saluces pour la contempler.

C’est ainsi que Gualtier, humblement certes, mais royalement
marié, honoré et prospère[1],
dans la paix du Seigneur vivait fort à son aise
à son foyer, et au dehors jouissait d’un ample crédit ;
et parce qu’il avait su voir qu’une humble condition
recèle souvent la vertu, le vulgaire le tenait
pour un homme avisé, ce qui se voit très rarement.

Et non seulement Grisilde, par son intelligence,
connaissait tous les soins d’une épouse dans sa maison,
430mais encore, lorsque l’occasion l’exigeait,
elle pouvait faire justice dans l’intérêt public.
Il n’était pas de discorde, de haine ou de rancune
en tout ce pays, qu’elle ne pût apaiser,
ramenant, par sa sagesse, le calme et le bien-être.

    Quand son mari était absent pour un temps,
s’il arrivait que des nobles, ou quelques autres de ses sujets
se querellassent, elle les réconciliait :
si sages et si pondérées étaient ses paroles,
si grande l’équité de ses jugements,
440qu’elle semblait envoyée par le Ciel, pensait-on,
pour le salut public et pour redresser tous les torts.

  1. Nous supprimons la virgule que M. Skeat met à la fin du vers 421 (après royalement). Nous sommes ainsi plus près du texte de Pétrarque : « Sic Gualtherus humili quidem sed insigni ac prospéra matrimonio, honestalis summa domi in pace, extra vero summa cum gratia hominuin vivebat ».