Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/382

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Peu de temps après que cette Grisilde
se fut mariée, il lui vint une fille,
bien qu’elle eût préféré avoir un enfant mâle.
Fort aises en furent le marquis et le peuple,
car, bien que son premier enfant fût une fille,
elle pourrait arriver à avoir un garçon,
selon toute vraisemblance, puisqu’elle n’était pas stérile.


Explicit secunda pars.


Incipit tercia pars.


Il advint ce qui arrive fréquemment :
450à peine cette enfant était-elle à la mamelle
que le marquis conçut en son cœur tel désir
de tenter Grisilde et de juger de sa constance,
qu’il ne put rejeter de son cœur
cet étrange dessein d’éprouver sa femme :
bien inutilement. Dieu le sait, il voulut l’effrayer.

Il l’avait suffisamment éprouvée déjà,
et toujours l’avait trouvée bonne : fallait-il donc
la tenter encore, et toujours plus cruellement ?
Bien que certains y louent une invention subtile,
460pour moi, je dis qu’il sied mal
d’éprouver une femme lorsque c’est inutile,
et de lui causer angoisse et terreur.

Pour ce faire, le marquis s’y prit de cette façon :
une nuit, il vint tout seul où elle était couchée,
et, avec un visage sévère et un air troublé,
il lui parla ainsi : « Grisilde (dit-il), le jour
où je vous tirai de votre pauvre condition
et vous mis en ce rang de haute noblesse,
vous ne l’avez pas oublié, je pense ?

470Grisilde, dis-je, cette dignité présente
où je vous ai élevée, je ne suppose pas
qu’elle vous ait rendue oublieuse
que je vous pris en pauvre et très humble sort ;