Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/395

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Aussi, en échange de ma virginité
que je vous ai apportée et ne remporte pas,
daignez m’accorder, comme récompense,
une chemise comme celles que j’avais coutume de porter,
afin que j’en couvre le sein de celle
qui fut votre femme, et je prends ainsi congé
de vous, mon bon seigneur, pour ne vous point affliger. »

890« La chemise (dit-il), que tu as sur le dos,
qu’elle y reste, et emporte-la avec toi. »
Mais c’est à grand’peine qu’il put prononcer ces mots,
et il s’éloigna de douleur et de pitié.
Devant l’assistance elle se dévêt,
et en chemise, tête et pieds nus,
elle s’en va vers la maison de son père.

Le peuple la suit en pleurant le long de la route
et en maudissant la fortune, chemin faisant ;
mais elle, loin de pleurer, gardait les yeux secs,
900et, en ce moment, ne disait pas un mot.
Son père, qui avait déjà appris la nouvelle,
maudit le temps et le jour où la nature
fit de lui créature vivante.

Car, assurément, le pauvre vieillard
avait toujours eu ce mariage en soupçon ;
car il avait pensé, dès le début,
qu’une fois que le seigneur aurait satisfait son désir,
il jugerait que c’était mésalliance
en son rang que de condescendre si bas,
910et qu’il la chasserait aussi vite que possible.

A rencontre de sa fille, il se porte en hâte,
car, à la rumeur de la foule, il savait qu’elle venait,
et de ses[1] vieux habits, tels quels,
il la couvrit en pleurant amèrement.
Mais à son corps il ne les put ajuster,
car grossière était l’étoffe et vieillie
de bien des années depuis son mariage.

  1. Ceux de Grisilde, qu’il avait conservés.