Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/401

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et maternellement, de ses larmes amères
elle baigne et leur visage et leurs cheveux.

Oh ! qu’il faisait pitié de la voir
s’évanouir, et d’entendre son humble voix !
« Grand merci, mon seigneur, je vous sais gré (disait-elle),
de m’avoir conservé mes enfants chéris !
1090Maintenant, peu m’importe de mourir ici même ;
puisque vous me gardez votre amour et votre grâce,
je n’ai cure de mourir, vienne l’heure de rendre l’esprit !

O mes tendres, mes chers, mes jeunes enfants aimés,
votre mère affligée était trop persuadée
que des chiens cruels ou une hideuse vermine
vous avaient dévorés ; mais Dieu, dans sa merci,
et votre bienveillant père, tendrement
vous ont fait garder », et, en ce même instant,
tout soudain, elle chut à terre, évanouie.

1100Et, dans sa pâmoison, elle tenait si fort
ses deux enfants qu’elle avait embrassés,
que ce ne fut pas sans grande adresse et grande difficulté
qu’on put arracher ces enfants de ses bras.
Oh, que de larmes sur maint visage ému
coulaient parmi les assistants :
c’est à peine s’ils pouvaient rester auprès d’elle.

Gualtier la réconforte et calme son chagrin ;
elle sort, étourdie, de sa torpeur,
et tout le monde, l’appelant a la joie, lui fait fête,
1110si bien qu’elle finit par reprendre contenance.
Gualtier s’empresse si fidèlement à lui plaire
qu’il était délicieux de voir le doux accueil,
qu’ils se faisaient, maintenant qu’ils étaient réunis.

Ses dames, lorsqu’elles en virent le moment,
la prirent, et, la conduisant dans sa chambre,
la dépouillèrent de ses grossiers habits,
et, vêtue d’un drap d’or éclatant,
avec une couronne semée de riches pierreries
sur la tête, la menèrent dans la grande salle
1120où elle reçut les honneurs qui lui étaient dus.