Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/409

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1350que tout homme qui estime qu’il vaut un poireau,
sur ses genoux nus, devrait toute sa vie
remercier son Dieu qui lui a envoyé une femme,
ou autrement prier Dieu de lui envoyer
une femme, qu’il conserve jusqu’à la fin de ses jours.
Car dès lors sa vie est mise en sécurité,
il ne peut plus être trompé, j’imagine,
pourvu qu’il agisse d’après l’avis de sa femme ;
alors il peut hardiment porter haut la tête ;
elles sont si fidèles et en même temps si avisées ;
1360c’est pourquoi, si tu veux agir en sage,
fais toujours comme les femmes te conseilleront.
Vois comment Jacob, ainsi que lisent les clercs,
d’après le sage conseil de sa mère Rébecca,
se mit la peau d’un chevreau autour du cou
et par là gagna la bénédiction de son père.
Vois Judith, comme l’histoire aussi peut le dire :
par sage conseil elle préserva le peuple de Dieu,
et tua Holopherne tandis qu’il dormait.
Vois Abigail[1], comment par bon conseil elle
1370sauva son mari Nabal, au moment où
il allait être tué, et vois Esther aussi :
par bon conseil, elle délivra du malheur
le peuple de Dieu, et fit que Mardochée
fut par Assuérus élevé très haut.
Il n’y a rien au degré superlatif,
comme dit Sénèque, au-dessus d’une humble femme.
Supporte la langue de ta femme, comme le conseille Caton ;
elle commandera, et tu le souffriras,
et pourtant elle obéira par courtoisie,
1380Une femme est la gardienne de ton ménage ;
un malade peut bien se lamenter et pleurer
là où il n’est pas de femme pour tenir la maison.
Je t’en avertis, si sagement tu veux agir,
aime bien ta femme, comme le Christ aime son église.
Si tu t’aimes toi-même, tu aimeras ta femme ;
nul homme ne hait sa propre chair, mais pendant sa vie
il la nourrit, et en conséquence, je t’en conjure,

  1. Abigail. — Cf. 1, Les Rois, 25, 18-35. Par ses sages paroles elle apaisa David qu’avait offensé son mari Nabal.