Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/463

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qu’il y a entre un mari et sa femme ?
Une année et plus dura cette vie bienheureuse,
jusqu’à ce que ce chevalier, dont je parle ainsi,
qui s’appelait Arveragus de Kayrrud,
résolut d’aller demeurer une année ou deux
810 en Angleterre, qui était appelée aussi Bretagne,
pour chercher dans les armes dignité et honneur,
car il mettait tout son plaisir en ce labeur ;
et il demeura là deux ans ; le livre le dit.

Maintenant, je vais laisser cet Arveragus,
et je vais parier de Dorigène, sa femme,
qui aime son mari comme la vie de son cœur.
À cause de son absence, elle pleure et soupire
comme font ces nobles femmes, quand il leur plaît.
Elle pleure, veille, se lamente, jeûne, se plaint ;
820 le désir de sa présence l’afflige tellement
que tout ce vaste monde, elle l’estime à rien.
Ses amis, qui connaissaient sa pénible pensée,
la consolent en tout ce qu’ils peuvent ;
ils la sermonnent, ils lui disent nuit et jour
que, sans cause, elle se tue elle-même, hélas !
Et toute consolation possible dans ce cas,
ils la lui donnent, de tous leurs efforts,
tout cela pour faire cesser son affliction.

Par persévérance, comme vous le savez tous,
830 on peut si longtemps creuser dans une pierre,
que quelque figure y soit empreinte.
On l’a consolée pendant si longtemps qu’elle
a reçu, par espérance et par raison,
l’empreinte de leur consolation,
d’où vint que son grand chagrin commença à se calmer ;
elle ne pouvait toujours demeurer en telle passion.
Et aussi, Arveragus, au milieu de tout ce souci,
lui a envoyé des lettres où il était dit qu’il prospérait,
et qu’il reviendrait de nouveau promptement ;
840 sans cela, ce chagrin lui aurait tué le cœur.

Ses amis virent que son chagrin commençait à diminuer,
et la prièrent à genoux, pour la grâce de Dieu,