Page:Chaucer - Les Contes de Canterbury.djvu/98

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et pourtant ce serait joyeuseté d’ouïr tout ;
qui n’entend point malice n’en serait pas offensé ;
mais il est bon qu’on ait les coudées franches.
Sa brillante chevelure fut peignée, les tresses toutes déroulées ;
2290une couronne de chêne vert cerrial[1]
sur sa tête fut posée, bien belle et séante.
Elle se mit à allumer deux feux sur l’autel,
et fit ses rites comme on peut voir
dans Stace de Thèbes[2] et dans les livres anciens.
Quand le feu fut allumé, le visage triste,
elle parla à Diane comme vous pouvez entendre.

« Ô chaste déesse des forêts vertes,
par qui le ciel et la terre et la mer sont vus,
reine du royaume sombre et bas de Pluton,
2300déesse des pucelles, qui connais mon cœur
depuis de longues années et sais ce que je désire,
garde-moi de ta vengeance et de ton ire
qu’Actéon subit cruellement.
Chaste déesse, tu sais bien que moi
je désire être pucelle toute ma vie
et ne veux être ni amante ni épouse.
Je suis encore, tu le sais, de ta compagnie,
pucelle, et j’aime chasse et vénerie
et marcher dans les bois sauvages
2310et non pas être mariée et porter un enfant.
Non je ne veux pas connaître la compagnie de l’homme.
Donc aide-moi, dame, puisque tu peux et sais,
à cause de ces trois formes que tu as en toi[3].
Et Palamon, qui a tant d’amour pour moi,
et aussi Arcite, qui m’aime si fort,
c’est là la grâce que j’implore de toi et rien plus,
envoie amour et paix entre eux deux ;
et de moi détourne leurs cœurs
pour que leur brûlant amour et leur désir,

  1. Cerrial, de cerre (cerreus), espèce de chêne au gland armé de piquants.
  2. I. e. dans la Thébaïde de Stace, où d’ailleurs il n’y a rien de pareil. (Note de Skeat.)
  3. Diane est la déesse triformis : au ciel, la lune ; sur terre, Diane et Lucine ; en enfer, Proserpine.