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CHARLES GUÉRIN.

diant en médecine apportait toujours avec lui ; on causait de tout ce que l’on pouvait savoir dans le cercle étroit où l’on vivait, et l’on se séparait souvent assez tard et toujours avec regret. Jean Guilbault prenait un plaisir de plus en plus évident à ces petites réunions, où il amenait un ou deux amis, qui, nos lecteurs s’en doutent bien, étaient des jeunes gens sans reproche. Il avait trop de peine à se pardonner sa liaison avec son ex-ami Voisin, pour qu’il en fût autrement. Ses poings se serraient convulsivement, lorsqu’il songeait, comme il le disait, « que c’était lui qui avait introduit ce gredin-là partout. » Chaque fois qu’il le rencontrait dans la rue, il lui fallait faire appel à tous ses principes et à toutes ses vertus pour ne pas le rouer de coups. L’air gauchement fanfaron de l’avocat, qui avait décidemment jeté son bonnet par-dessus les moulins, ajoutait à la violence de la tentation. Ce qui achevait de vexer horriblement l’honnête Guilbault, c’est, qu’ainsi qu’il l’avait prévu, M. Wagnaër et son complice étaient sortis de cette affaire un peu plus blancs que la neige, dans l’opinion d’un certain monde.

La première version, la véritable, avait bien causé en se répandant quelque petit scandale. La seconde version, antidote de la première, n’avait pas tardé à prendre le dessus.

« De quoi M. Guérin se plaignait-il, disaient les gens positifs ? M. Wagnaër ne lui avait-il pas remboursé tout ce qu’il avait perdu ? n’était-ce pas sa faute d’avoir voulu se poser en protecteur de cet autre jeune homme et d’avoir endossé ce billet ? N’était-il pas bien heureux de s’en tirer à si bon marché ? Toute l’intrigue gisait dans son imagination. C’était un poëte, un visionnaire, un de ces hommes qui se posent en victimes à tous propos.

« M. Wagnaër mariait sa fille à M. Voisin. Eh bien, le beau malheur ! En manquait-il des filles à marier ? Et puis M. Guérin pouvait-il affirmer qu’on lui avait promis la main de cette demoiselle ? Il lui avait plû de bâtir un roman sur