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CHARLES GUÉRIN.

ment où ses deux fils, qu’elle avait fait instruire au moyen d’efforts et de sacrifices inouïs, allaient la remplacer dans le combat.

Mille pensées se présentaient alors en foule à son esprit : c’était son passé et son avenir qui défilaient dans son imagination. Du souvenir des jours de bonheur qu’elle avait vécus durant son mariage, elle cherchait à construire de nouveaux plans de félicité, uniquement appuyés sur celle de ses enfans. Livrée tout entière à sa préoccupation, elle avait laissé tomber le modeste tissu auquel elle travaillait ; elle s’était penchée vers sa fille, elle semblait dévorer des yeux le seul des objets de son amour qu’elle eût auprès d’elle. Elle était belle ainsi ; âgée seulement de quarante ans, malgré les soucis et les chagrins qui avaient sillonné son âme, il y avait dans ses traits tant d’énergie et d’intelligence, dans ses grands yeux noirs tant de charmes, dans son teint brun tant de vie et de chaleur, dans sa taille élancée et imposante tant de dignité, dans toute sa personne tant de grâce, qu’on ne lui aurait pas donné plus d’une trentaine d’années. On sait qu’à cet âge, beaucoup de personnes sont plus séduisantes que dans la première jeunesse.

Quoique cette bonne mère de famille fût loin de consacrer beaucoup de temps à la toilette, et qu’elle évitât même de se montrer, dans la paroisse, mise d’une manière trop recherchée, il y avait chez elle une sorte de respect d’elle-même, comme un noble et pieux souvenir de l’élégance que M. Guérin avait lui-même voulue et encouragée, qui fesait qu’elle ne négligeait jamais son extérieur. Ce soir-là par exemple, où elle n’attendait certainement aucune visite, elle n’en portait pas moins une robe noire très simple, mais d’une forme gracieuse, et une coiffure élégante, quoique modeste. Debout, dans ce moment, derrière la chaise de sa fille sur laquelle elle s’appuyait, on aurait dit qu’elle voulait faire contraster son genre de beauté, régulier, sévère et un peu sombre, avec la blonde et suave figure de l’ai-