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artistes anglais contemporains.

ne fussent l’objet. En 1851, le découragement les gagnait, l’un d’eux allait non pas céder, mais renoncer, s’expatrier, quand M. John Ruskin, l’admirateur passionné de Turner et son apologiste, se jeta dans la mêlée et écrivit sa célèbre lettre au Times. Assurément la cause de la vérité dans l’art, du retour à l’observation de la nature, si éloquemment qu’elle fût plaidée, ne fut pas gagnée le jour même ; mais du coup le pic était entré dans le granit de la vieille bastille académique, l’opinion revint aux vaillants de la première heure, ils eurent un public chaque jour plus nombreux. Si par la suite ils se dispersèrent, s’ils abandonnèrent la désignation de Préraphaélites qu’ils avaient adoptée dans le premier feu de leur juvénile enthousiasme, c’est que la lutte était finie ; c’est que le champ était libre désormais à toutes les manifestations d’un art fondé sur l’amour de la nature et de la vérité ; c’est qu’un tel art, exigeant de tout artiste l’apport complet de ses énergies individuelles, ne pouvait demeurer lié à une formule de combat, excellente pour le combat, mais qui aurait eu le tort, la bataille étant terminée, de circonscrire d’une façon beaucoup trop étroite, de limiter aux exemples fournis par les maîtres primitifs la vivante expansion du génie de tout homme sollicitée par les séductions éternelles et éternellement variées de la nature.

Et par le fait, il s’est accompli dans le talent des Préraphaélites d’autrefois, de deux d’entre eux au moins, d’évidentes évolutions ; le talent de l’un s’est élevé au culte de la pure beauté, Celui de l’autre s’est singulièrement élargi. Qu’importe ! la voie était frayée, la bastille rasée ; la place était nette où allait s’asseoir cette jeune école anglaise renaissante qui a tant surpris le continent à notre Exposition internationale de 1878. La réputation des artistes anglais n’est plus seulement une réputation « insulaire » comme il y a vingt-cinq ans, et comme avec raison le constatait Th. Thoré à l’occasion des Art Treasures exposés à Manchester en 1857 ; elle a passé le détroit et s’est répandue en Europe, non de fait encore dans les collections publiques ou privées, mais temporairement par les expositions universelles. Et pourtant ces hommes, ces artistes, on ne connaît ici de leur œuvre que ce qu’il leur a plu de nous en montrer au Palais de l’avenue Montaigne, en 1855, et au Champ dé Mars, en 1867 et en 1878. Cela n’est vraiment plus suffisant.

C’est pourquoi nous nous arrêtons aujourd’hui à quelques-unes de ces intéressantes figures avec la pensée de les rendre un peu plus familières au public français. En choisissant, pour en faire l’objet d’une première série d’études, des peintres comme MM. J. E. Millais, E. Burne-Jones, G. F. Watts, Sir Fr. Leighton et Alma-Tadema, qui appartiennent tous aux plus hautes formes de l’art ; des peintres de la vie intime comme MM. W. Q. Orchardson, P. R. Morris, F. Holl, H. Herkomer, Fr. Walker, G. H. Boughton ; des peintres de la vie rurale comme MM. Mark Fisher, Cecil Lawson, R. W. Macbeth, Edwin-Edwards, nous ne nous interdisons pas d’évoquer d’autres noms au cours de ces pages, de manière à parcourir les genres les plus divers et à présenter de la sorte une rapide vue d’ensemble de l’art contemporain en Angleterre.