Page:Chesterton - Le Nommé Jeudi, trad. Florence, 1911.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Gregory ne put achever ; il tremblait des pieds à la tête.

— Soyez raisonnable, fit Syme avec autorité. Pourquoi m’avez-vous amené dans cet infernal parlement ? Vous avez exigé mon serment avant que j’exigeasse le vôtre. Sans doute, nous agissons l’un et l’autre selon l’idée que nous nous faisons du bien et du mal. Mais, de votre conception à la mienne, il y a une si formidable distance que nous ne saurions admettre de compromis. Il ne peut y avoir entre nous que l’honneur et la mort.

Et il jeta sur ses épaules la grande pèlerine en saisissant la bouteille.

— Le bateau est prêt, dit le Président, s’interposant. Ayez la bonté de me suivre.

D’un pas traînant qui révélait en lui un boutiquier, le président Buttons précéda Syme, par un couloir étroit et blindé de fer. Gregory les suivait, tout frémissant, les talonnant presque.

Au bout du couloir, Buttons ouvrit une porte, découvrant la perspective bleu et argent de la rivière sous les rayons de la lune. C’était comme un décor de théâtre. Le long de la rive se tenait tout noir le petit bateau à vapeur, pareil à quelque jeune dragon à l’œil rouge, unique. Sur le point d’y monter, Gabriel Syme, dont le visage était dans l’ombre, se retourna vers Gregory :

— Vous avez tenu votre parole, dit-il doucement, vous êtes un homme d’honneur, et je vous remercie. Vous avez tenu votre parole jusqu’au