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Le Roman anglais de Notre Temps de la nature. Nul ne doit moins aux écoles, aux cénacles, aux relations personnelles. Quels sont ses maîtres ? Il n'en eut pas d'autres que son tempérament. Et qu'est-ce qui accoucha ce génie, d'avance à terme ? La pression immédiate de la nécessité, le contact direct avec la vie, enfin l'exigence du métier. Rudyard Kipling était né journaliste. Journaliste il fut dès l'âge de dix-huit ans ; et pas à moitié, mais com- plètement, sans réserves et sans merci. Il faut avoir reconstitué l'existence de manœuvre inspiré qu'il menait entre dix-huit et vingt-trois ans à la Gazette de Lahore pour comprendre l'éclosion hâtive de son talent. Il faut se faire lire. Il n'a qu'un coin de journal. Pas un mot à perdre. Aussi pas un mot de perdu, pas un qui ne porte. Mille autres avaient essayé la nouvelle-express. Il réussit d'instinct, du premier coup. Les trois quarts de son œuvre sont en « Short stories » — Histoires courtes. Toutes ses nouvelles de l'Inde avant 1890 ont été pu- bliées par une Bibliothèque de Chemins de Fer. Il est journaliste. Il écrit pour tout le monde, pour le plaisir, pour le divertissement, oui, pour le divertissement de son lecteur, et pas seulement pour son « extase » à lui, comme dit Pater. Mais tout le monde, aux Indes, entend à demi-mot. C'est une société de soldats et de fonction- naires, gens d'une culture peu étendue mais pratique. Il faut saisir leur attention; le temps est court, la vîe pleine, il fait chaud ; — ne pas la lâcher, et tout y est bon. Brièveté, condensation, intensité, art de suggérer autant que d'exprimer, acrobatie, s'il le faut, du style, telles sont les qualités de la forme que le jeune Kipling impose à la nouvelle anglaise. Elle n'y était guère habituée. Cette rapidité suggestive emporta le public. Ce fut une révolution.

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