Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/194

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Le Roman anglais de Notre Temps tion, doctrine, protestation, ou satire sociale, aucune « tendance > politique ou religieuse. Ses personnages sont ce qu'ils sont, distincts, variés, profondément indi- viduels, mais il est impossible de généraliser à leur sujet. Il crée des hommes, non des types. Il s'abstient de tout ce qui peut sembler un blâme ou un éloge. Nous sommes à mille lieues, avec Conrad, de Dickens, de Thackeray, de George Eliot et de tous les contemporains anglais qui, directement ou indirectement, interviennent dans leur récit. Nous ne sommes pas plus près des réalistes qui servent la tranche de vie avec la même indifférence qu'un gargotier la tranche de veau. Sa doctrine, son génie, sa pratique, le conduisent au contraire à marquer de la plus intense personnalité les pages en apparence les plus im- personnelles. Pour lui, l'artiste est un tempérament qui parle à d'autres tempéraments par la « magie de la suggestion », s'impose à eux, non directement, mais par une constante évocation, et les enchaîne par la force non de la raison, non du sentiment, mais de l'instinct vital. « Il parle », dît -il, < à notre capacité de jouissance et e d'émerveillement, au sens du mystère qui entoure nos « vies, à notre instinct de pitié, de beauté, de douleur, <t à notre impression latente de communauté avec toute « la création.» Joseph Conrad n'est donc ni moral et social, comme la plupart des grands romanciers anglais, ni indifférent et détaché, comme les très grands écrivains français, qui sont plutôt spectateurs et interprètes que collaborateurs de la vie. Son réalisme se rattacherait plutôt à celui des Primitifs et des Russes. Aucun écrivain de notre temps n'est peut-être doué d'une puissance de dissection morale et mentale supérieure JafeedbvGoOgle

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