Page:Chevalley - Le Roman anglais de notre temps.djvu/198

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

non de l’auteur, mais des faits, des circonstances, du récit) ne s’exerçait qu’en faveur des victimes du grand maléfice social : la cupidité. Maintenant, il continue d’être muet et perçant à la fois, mais îl s’adresse moins aux victimes qu’aux sauveurs, aux révoltés, aux redresseurs, vaincus par le fait et triomphants par l’esprit. En outre, la malédiction se personnifie, le génie du lucre, du malheur, de la revanche, s’incarne en des personnages sataniques et misérables. Tel le vieux de Barrai dans Chance (1914) qui est conduit à la prison par son ambition financière et en sort bourré de volontés assassines comme une mine est bourrée d’explosifs. Tel, dans Victory (1915), l’horrible Jones, qui est la plus moderne, la plus plausible incarnation de l’Esprit malin. En face de cette diabolique création, Axel Heist et Lena, quoique vaincus par le destin, gagnent en mourant l’un par l’autre et l’un pour l’autre la plénitude de la vie. C’est en quoi consiste la Victoire. Le livre, écrit en 1914-1915, avait peut-être un sens plus large encore.

En même temps le style se dépouille, perd cet excès de richesse sensuelle qui distinguait les premières œuvres.

The Shadow Line, une des œuvres les plus récentes de Conrad, est peut-être la plus parfaite, après The Nigger of the Narcissus ; elle est publiée avec le sous-titre « Une Confession ». C’est l’histoire d’un jeune capitaine que les circonstances conduisent à prendre le commandement d’un voilier inexplicablement détenu dans la rivière siamoise. A force de persistance, de volonté, il le conduit dans le golfe, région désolante des grands calmes, et là, pendant des semaines, avec un équipage miné de fièvres, il essaie en vain de franchir la latitude où le cadavre invisible du précédent capitaine semble lui interdire le passage. Le vivant finit par vaincre le mort La ligne