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LES LIAISONS

dre. Cependant mon chevalier arrive à ma porte avec l’empressement qu’il a toujours. Mon suisse la lui refuse & lui apprend que je suis malade : premier incident. Il lui remet en même temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente règle. Il l’ouvre, & y trouve, de la main de Victoire : « À neuf heures précises, au boulevard, devant les cafés. » Il s’y rend, & là un petit laquais qu’il ne connaît pas, qu’il croit au moins ne pas connaître, car c’était toujours Victoire, vient lui annoncer qu’il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tête d’autant, & la tête échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, & la surprise & l’amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet, puis je le ramène vers la maison. Il voit d’abord deux couverts mis ; ensuite un lit fait. Nous passons jusqu’au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là, moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui & me laissai tomber à ses genoux. « Ô mon ami ! lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t’avoir affligé par l’apparence de l’humeur ; d’avoir pu un instant voiler mon cœur à tes regards. Pardonne-moi mes torts ; je veux les expier à force d’amour. » Vous jugez de l’effet de ce discours sentimental. L’heureux chevalier me releva, & mon pardon fut scellé sur cette même ottomane où vous &