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DANGEREUSES.

encore le soir, aussitôt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout ; je ne voulais même pas : mais il m’en pria tant, que je lui dis qu’oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma femme de chambre fut sortie, j’allai pour prendre ma harpe. Je trouvai dans les cordes une lettre, pliée seulement, & point cachetée, & qui était de lui. Ah ! si tu savais tout ce qu’il me mande ! Depuis que j’ai lu sa lettre, j’ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l’ai relue quatre fois tout de suite, & puis je l’ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cœur ; &, quand j’ai été couchée, je l’ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. Dès que je fermais les yeux, je le voyais là, qui me disait lui-même tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard, & aussitôt que je me suis réveillée (il était encore de bien bonne heure), j’ai été reprendre sa lettre pour la relire à mon aise. Je l’ai emportée dans mon lit, & puis je l’ai baisée comme si… C’est peut-être mal fait de baiser une lettre comme ça, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.

À présent, ma chère amie, si je suis bien aise, je suis bien embarrassée ; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette lettre-là. Je sais bien que ça ne se doit pas, & pourtant il me le demande ; &, si je ne réponds pas, je suis sûre qu’il va encore être triste. C’est pourtant bien malheureux pour lui ! Qu’est-ce que tu me conseilles ? mais tu n’en sais pas plus que moi. J’ai bien envie d’en parler à madame