Page:Choderlos de Laclos - Les Liaisons dangereuses, 1869, Tome 2.djvu/150

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résolution que vous avez prise, dit-elle… — N’est que l’effet de mon désespoir, repris-je avec emportement. Vous avez voulu que je sois malheureux ; je vous prouverai que vous avez réussi au-delà même de vos souhaits. — Je désire votre bonheur, répondit-elle. » Et le ton de sa voix commençait à annoncer une émotion assez forte. Aussi me précipitant à ses genoux, & du ton dramatique que vous me connaissez : « Ah ! cruelle, me suis-je écrié, peut-il exister pour moi un bonheur que vous ne partagiez pas ? Où donc le trouver loin de vous ? Ah ! jamais ! jamais ! » J’avoue qu’en me livrant à ce point, j’avais compté beaucoup sur le secours de mes larmes ; mais soit mauvaise disposition, soit peut-être seulement l’effet de l’attention pénible & continuelle que je mettais à tout, il me fut impossible de pleurer.

Par bonheur je me ressouvins que pour subjuguer une femme, tout moyen était également bon ; & qu’il suffisait de l’étonner par un grand mouvement, pour que l’impression en restât profonde & favorable. Je suppléai donc, par la terreur, à la sensibilité qui se trouvait en défaut ; & pour cela, changeant seulement l’inflexion de ma voix, & gardant la même posture : « Oui, continuai-je, j’en fais le serment à vos pieds, vous posséder ou mourir. » En prononçant ces dernières paroles, nos regards se rencontrèrent. Je ne sais ce que la timide personne vit ou crut voir dans les miens ; mais elle se leva d’un air effrayé, & s’échappa de mes bras dont je l’avais entourée. Il est vrai que je ne fis rien pour la retenir ; car j’avais remarqué