Page:Choix de discours de réception à l'Académie françoise, tome I, 1808.djvu/515

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Sa langue, qui fut l’ouvrage des poètes et des orateurs, c’est-à-dire, d’hommes tout à-la-fois esclaves et tyrans de l’imagination, naquit et s’accrut par degrés avec les idées qu’elle avoit à exprimer. La nôtre, formée au hazard, sans unité, sans dessein, ne s’est perfectionnée que du moment où s’est levé le jour calme et pur d’une philosophie toute de raisonnement. La phrase grecque pouvoit se mouvoir en tout sens ; la nôtre est le plus souvent condamnée à ne parcourir qu’une même ligne. Enfin, comme la puissance et la majesté appartenoient essentiellement au peuple d’Athènes, les mots étoient préservés de l’avilissement où les entraîne l’usage qu’en fait la multitude assujettie et grossière.

Mais quoi ! n’avons-nous fait que des pertes ? Aurois-je donc oublié que je parle dans un lieu où se fit entendre la voix des Fénélon, des Bossuet, des Racine, des Despréaux, des Fléchier, des Massillon, que je parle devant vous, Messieurs, devant les maîtres et les modérateurs d’une langue qui règne aujourd’hui sur l’Europe, et dont vos ouvrages éterniseront l’Empire ? Ah ! loin de moi cet enthousiasme exclusif et aveugle pour l’antiquité. Quel sentiment pénible et injuste que celui de l’admiration pour les chef-d’œuvres immortels des Grecs et des Romains, s’il ne servoit à nous rendre plus sensibles aux beautés de tous les genres dont brillent les ouvrages de nos grands écrivains ! Non ; je ne croirai jamais qu’un