Page:Chopin et Sand - Lettres, éd. Sydow, Colfs-Chainaye et Chainaye.djvu/70

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et de bonté ![1] Son piano lui manque beaucoup. Nous en avons enfin reçu des nouvelles aujourd’hui. Il est parti de Marseille et nous l’aurons peut-être dans une quinzaine de jours.

Mon Dieu, que la vie physique est rude, difficile et misérable ici ! C’est au delà de ce qu’on peut imaginer. On manque de tout, on ne trouve rien à louer, rien à acheter. Il faut commander des matelas, acheter des draps, serviettes, casseroles, etc. tout absolument.

J’ai, par un coup du sort, trouvé à acheter un mobilier propre, charmant pour le pays, mais dont un paysan de chez nous ne voudrait pas. Il a fallu se donner des peines inouïes pour avoir un poële, du bois, du linge, que sais-je ? depuis un mois que je me crois installée je suis toujours à la veille de l’être.

Ici, une charrette met cinq heures pour faire trois lieues : jugez du reste ! Il faut deux mois pour confectionner une paire de pincettes, Il n’y a pas d’exagération dans ce que je vous dis. Devinez sur ce pays tout

  1. Il faut rapprocher ces mots que l’on sent jaillis du cœur de ce que George Sand écrivit plus tard à propos de Chopin à Majorque dans l’Histoire de ma vie : « Le pauvre grand artiste, y lit-on, était un malade détestable ». Déclaration faite après coup pour — la chose est certaine — donner quelque excuse à la cruelle rupture. À ce propos, permettons-nous de faire remarquer combien certains excellents historiographes tirent parfois peu parti des documents originaux qu’ils ont été souvent les premiers à avoir la faveur de consulter. Ainsi Mme Wladimir Karénine, après avoir cité les lignes où la romancière parle du caractère angélique de Chopin, n’en abonde pas moins, dans le même volume, dans le sens de la thèse du malade détestable.