Page:Chouinard - Histoire de la paroisse de Saint-Joseph de Carleton (1755-1906), 1906.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 68 —

ton Mann, et qu’en ce moment, ils coupaient les foins de cette réserve sans s’occuper des droits des Micmacs.

Le temps était mal choisi pour faire circuler pareille rumeur : les bourgades sauvages de toutes les parties de la Baie des Chaleurs et de la Gaspésie venaient de s’assembler à la mission de Sainte-Anne de Ristigouche et tous les guerriers de la tribu étaient présents. Une réunion secrète du Grand Conseil se tint pendant la nuit et il y fut résolu à l’unanimité d’en finir de suite avec l’Anglais et de massacrer d’un seul coup tous ceux qui se trouvaient dans la Baie des Chaleurs. Aussitôt cette conclusion terrible prise, l’ordre est donné de courir aux armes et de préparer les canots, car pour frapper sûrement il ne fallait pas perdre de temps. Soudain la sentinelle qui veillait à la porte du Conseil est renversée par un bras vigoureux et la taille gigantesque du « patriarche » (M. Faucher) se dresse en face des chefs. Son regard fait le tour de l’assemblée. Pas un muscle n’a bronché sur la figure des micmacs ; chacun est demeuré immobile et silencieux.

« Chefs et guerriers, leur dit le prêtre en s’avançant au milieu du cercle, il doit se passer ici quelque chose d’étrange et de mauvais, puisque vous vous cachez de celui que vous avez toujours traité comme un père. Mais l’ami du Saint-Esprit ne peut être trompé par ceux que le Créateur Suprême a confiés à sa garde ; et je viens vous prier de me raconter vos peines pour qu’il me soit permis de pleurer avec mes enfants, et de les aider à supporter leurs douleurs comme cela convient à ceux qui sont les guerriers d’une grande tribu et les enfants du vrai Dieu.»

Un frémissement courut dans l’assemblée, mais personne ne répondit.

« Allons, grand chef ! reprit le missionnaire, en traversant le cercle des sagamos et en se plaçant en face du plus, respecté et du plus ancien de la tribu ; tu ne réponds plus à