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ton père ! Est-ce que ta langue est liée par le démon de l’obstination ? ou mieux encore celui de la vengeance est-il entré dans ton cœur ? Il y a du sang dans l’air ici et ton œil si doux et si grave d’habitude lance aujourd’hui des éclairs de haine. N’oublie pas, grand chef, que Dieu ne donne à l’homme la vieillesse que pour se recueillir et songer à la tombe ; avant de s’y coucher, le vieillard doit enseigner aux autres l’expérience des choses et la voie de la sagesse, au lieu de les exciter à la colère et de leur montrer le sentier de l’enfer. Parle, chef, il est encore temps ; et, au nom du Dieu vivant, je t’adjure de me dire ce qui se passe ici. »

Alors le grand chef se levant gravement répliqua d’une voix ferme au missionnaire :

« Notre patience est à bout et le conseil a décidé. Nous allons en finir avec l’Anglais. Aujourd’hui ta place n’est plus avec nous “patriarche.” Reste ici, et, quant aux autres, en route ! j’ai dit. »

Chacun alors se précipitant vers les canots, pousse au large et disparaît bientôt, après avoir lancé son cri de guerre.

Le missionnaire est resté seul, mais il ne se décourage pas. Une sauvagesse sait où les conspirateurs se sont donnés rendez-vous et elle vient prévenir le « patriarche » que c’est à la Pointe à la Batterie où doit se prélever le premier impôt du sang. Il n’y a plus à hésiter et, se précipitant dans un vieux canot qu’on n’a pas jugé propre pour l’expédition, M. Faucher se met à pagayer vigoureusement dans la direction prise par les sauvages. La crainte d’être en retard décuple les forces de ce colosse doué des muscles de quatre hommes. L’idée de sauver ses semblables le fait voler sur les eaux ; bientôt il tombe au milieu des Micmacs étonnés, et les larmes aux yeux, il les conjure de revenir sur leur décision, promettant, au nom de Dieu et du roi d’Angleterre, que justice serait bientôt faite aux opprimés.