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VIII

prose de la fin du XIIe siècle ne soient d’un immense intérêt historique aussi bien que philologique ; et les éloquentes paroles d’un juge aussi impartial que compétent, de M. Paulin Paris[1], à propos du roman de Lancelot, n’ont pas encore reçu de démenti.

Toutefois si je me propose de soulever quelques questions relativement à ce roman, je ne compte pas entrer dans une longue analyse des faits qu’il contient. Je me bornerai à m’occuper de son auteur et de son origine, parce que ces sujets demandent encore à être approfondis. Or, analyser l’origine d’une œuvre littéraire, remonter à ses sources, c’est frayer le chemin à la critique qui appréciera l’ouvrage lui-même.


Quant aux manuscrits dont j’ai fait usage, tant pour la prose que pour le roman versifié, j’avais à choisir entre bon nombre d’exemplaires. En tant ce qui regarde la prose, sur le judicieux avis de M. Paulin Paris je ne m’arrêtai qu’aux plus anciens textes, et je pris pour base de mon travail deux manuscrits in-f°. sur vélin, du treizième siècle, qui par leur rédaction et les formes du langage devaient se rapprocher bien plus de la composition primitive que les copies écornées et rajeunies du XVe siècle, quelque soin qu’on ait mis d’ailleurs à les embellir. Ce sont les nos. 7185 et 69593 (fonds de Colbert, 2437).

Le n°. 69593, que je désignerai par la lettre B, contient selon M. Paris[2], « une leçon excellente et le copiste a mis à l’établir tout le soin imaginable. » Il est vrai que ce manuscrit est fort recommandable parce qu’il contient, sur 383 feuillets à deux colonnes, toutes les branches du roman[3] ; néanmoins il m’a semblé que M. Paris a jugé trop favorablement du travail du copiste : le texte est défiguré par bien des erreurs et par quelques omissions.

Le n°. 7185, désigné par la lettre A, contient 199 feuillets. M. Paris a pensé que la

  1. Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi. Tom. 1, p. 173 :
    « On n’a pas assez remarqué l’importance d’un monument de cette nature, élevé avant la fin du XIIe siècle, en France ou en Angleterre, par un écrivain d’origine française. Que deviennent nos préventions contre la grossièreté, l’ignorance et la barbarie de nos ancêtres, en présence d’une composition complètement fondée sur des aventures galantes, et dans laquelle cependant vous chercheriez en vain une parole qui blessât la pudeur la plus ombrageuse ? Chaque page révèle au contraire une élégance de mœrs comparable peut-être à celle des chevaliers contemporains des Fleuranges et des Bayard. Quoi ! ces barons dont nous aimons à tourner en ridicule l’orgueilleuse ignorance se plaisaient à faire ou à lire, dès ce temps là, des livres demeurés pendant plus de trois siècles l’admiration et les délices de l’Europe entière ! Un jour viendra sans doute où nous refuserons notre confiance à ce dicton : un gentilhomme aurait autrefois rougi de savoir lire. Alors nous examinerons ; alors nous ne répéterons pas tout ce qu’on a dit, mais seulement ce qu’on aura bien fait de dire. »
  2. Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi. Tom. 2, p. 354.
  3. Il est complet sauf quelques feuillets qui manquent en plusieurs lieux : au commencement deux, entre les f°. 15 et 16 probablement 15, et une demi-douzaine à la fin.