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CHAP. II. — PADOUE

une délicieuse villa du voisinage, dont il avait hérité de son père. Sa bibliothèque renfermait entre autres trésors les plus anciens manuscrits de Virgile et de Térence que l’on avait découverts à cette époque, des spécimens de la vieille poésie provençale et des autographes de Pétrarque. C’est là que ses amis avaient coutume de rassembler, c’est là que Luigi Cornaro lut des passages de son essai intitulé Della Vita Sobria, que Lampridio récita des vers que l’on jugea être dignes de Pindare, et c’est là, on n’en peut douter, que l’hôte lui-même fit connaître plus d’un fragment de cette poésie châtiée qui, manquant peut-être de vigueur et de fermeté, est parfaite comme pureté de diction et de forme, et qui, pendant plus d’un siècle, fut considérée comme le carmen necessarium que tout Italien lettré devait savoir presque par cœur.

Les années que Dolet passa à Padoue eurent sur lui une influence qu’il ressentit toute sa vie. Ce fut là, sans nul doute, qu’il conçut ces opinions qui, près de vingt ans plus tard, devaient être la cause de sa mort et qui ont servi de prétexte à ses ennemis pour le flétrir du nom d’athée.

L’université de Padoue fut, pendant tout ce siècle, le quartier général d’une école philosophique absolument opposée aux doctrines du christianisme, et qui était divisée en deux sectes, dont l’une était panthéiste et l’autre, pas absolument matérialiste, si l’on veut, mais du moins fort près de l’être. L’une et l’autre se rattachaient aux doctrines d’Aristote et reconnaissaient le stagirite comme leur seul maître. Mais de même que dans l’église chrétienne nous savons que les uns suivaient Paul et les autres Céphas, parmi les aristotéliens de Padoue il y avait des partisans d’Averroès et des partisans d’Alexandre d’Aphrodisias. Ils ne croyaient ni les uns ni les autres à l’immortalité de l’âme individuelle ; les panthéistes disaient que l’âme de chaque individu émane de l’âme de l’univers et est absorbée ensuite par cette âme. L’autre secte était en fait, sinon en réalite, matérialiste et niait absolument l’immortalité : et ses doctrines, au dire de ses adver-