Page:Chuquet - J.-J. Rousseau, 1922.djvu/91

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour thèse : à Londres la haine des Français, à Tunis la piraterie, à Messine une vengeance savoureuse et à Goa un autodafé de juifs. Sans doute, lorsque Delisle fait jouer l’Arlequin sauvage, les spectateurs ne veulent pas ressembler à son héros ; mais la pièce favorise leur tour d’esprit qui est d’aimer les idées neuves et singulières. Bref, loin de « purger » les passions, le théâtre leur donne une énergie nouvelle.

Rend-il la vertu aimable et le vice odieux ? Mais la source de notre aversion pour le mal et de notre amour du bien est en nous, non dans les pièces. Les grands scélérats de la tragédie, les Catilina, les Atrée, les Mahomet, ne sont-ils pas présentés sous un aspect favorable ? N’excusons-nous point Phèdre incestueuse, et cet Horace, cet Agamemnon, cet Oreste qui poignardent, l’un sa sœur, l’autre sa fille, et le troisième sa mère ? « On frissonne, s’écrie Rousseau avec son exagération coutumière, à la seule idée des horreurs dont on pare la scène française ; les massacres des gladiateurs n’étaient pas si barbares ! » Mais la comédie n’est pas moins funeste. Quelle école de mauvaises mœurs que le théâtre de Molière ! L’Alceste du Misanthrope ne joue-t-il pas un rôle ridicule, et Philinte, le sage de la pièce, n’est-il pas de ceux qui soutiennent autour d’une bonne table que le peuple n’a pas faim ? Régnard n’a-t-il pas encouragé les filous ? D’ailleurs que font nos comiques et nos tragiques, pour plaire au public ? Ils fondent uniquement sur l’amour l’intérêt