Page:Chuquet - J.-J. Rousseau, 1922.djvu/95

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peuvent être différentes. Mais Rousseau rappelle la volonté de la nature : dans les grandes villes, les dames du meilleur air ont les mœurs des vivandières et se piquent de faire rougir un honnête homme ; ailleurs les femmes sont timides, un mot les rend confuses, elles n’osent lever les yeux. Et Saint-Preux dira de même dans l’Héloïse qu’en France les femmes font tout, qu’elles ont l’Olympe et le Parnasse sous leurs lois, qu’elles statuent sur la valeur d’un livre comme sur le renom d’un auteur. Il blâmera l’immodestie de ces Parisiennes qui ressemblent à des filles de joie par la hardiesse de leur abord, par leur maintien soldatesque, par leur ton grenadier, par leur façon intrépide de fixer les gens.

Ces violentes sorties ne nuisaient pas au succès de l’ouvrage. Rousseau n’eut guère d’ennemis parmi les femmes. L’affection se laissait voir sous l’invective. Déclamer contre elles et les traiter sévèrement, était-ce une marque d’indifférence ? Pour les si bien châtier, il fallait les aimer. Et quelle haute idée Jean-Jacques se fait de l’amour, de ce terrible amour, tantôt éloquent et enflammé, tantôt muet et plus énergique encore dans son silence, aussi téméraire que timide, manifestant à la fois le désir et la crainte par ses inexprimables regards ! Quel fier dédain il ressent pour le jargon de la galanterie et la gentillesse prétentieuse des boudoirs, pour les fadeurs et fadaises de ces petits freluquets et de ces froids mirliflores qui ne savent pas ce que c’est que la passion ! Quels sarcasmes il lance à ces