Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/182

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rencontré dans ce lieu contre son habitude, ou dans un autre moment que celui qu’il prenait d’ordinaire. Pour le temps même de l’action, a-t-on vu l’accusé la commettre ; a-t-on entendu du tumulte, des cris, un bruit de pas ; enfin, l’un des sens, l’ouïe, le tact, l’odorat, le goût a-t-il été frappé ? car chacun d’eux peut faire naître un soupçon. Quant au temps qui a suivi l’action, on examine s’il est resté, après le fait accompli, quelque chose qui indique qu’un délit a été commis, ou en révèle l’auteur. Veut-on constater l’existence du crime ? si le cadavre de la victime est enflé et livide, son état prouve un empoisonnement. Cherche-t-on quel en est l’auteur ? on a trouvé le poignard de l’accusé ; un de ses vêtements ou quelque objet pareil abandonné par lui, ou des traces de ses pas ; il y avait du sang sur ses habits : aussitôt après l’exécution du crime, on l’a saisi ou aperçu dans le lieu même où il s’est commis. Argumenter des suites, c’est rechercher les signes auxquels on reconnaît d’ordinaire un coupable ou un innocent. L’accusateur dira, s’il le peut, que son adversaire, à l’approche des témoins, a rougi, pâli, chancelé ; qu’il s’est contre-dit, qu’il est tombé dans l’abattement, qu’il a fait des promesses, toutes choses qui prouvent l’agitation de sa conscience. Si l’accusé n’a rien fait de tout cela, l’accusateur dira qu’il avait si bien calculé d’avance les suites de ce qu’il allait faire, qu’il a répondu sans broncher et avec l’assurance la plus complète : preuve d’audace et non pas d’innocence. Le défenseur prétendra, si son client a montré de la crainte, que c’est à la grandeur du péril et non point à ses remords qu’il faut attribuer son émotion ; s’il ne s’est pas effrayé, c’est que, fort de son innocence, il ne pouvait éprouver d’alarmes.

VI. La preuve confirmative est le dernier moyen dont on se sert quand on a bien établi les soupçons. Elle a ses lieux propres et ses lieux communs. Les lieux propres sont ceux dont personne autre que l’accusateur ou le défenseur ne peut user. Les lieux communs sont ceux qui, dans des causes différentes, peuvent être employés par l’un ou par l’autre. Dans la cause conjecturale, le lieu propre pour l’accusateur consiste à dire qu’il ne faut avoir aucune pitié des méchants, et à exagérer l’atrocité du crime. Pour le défenseur, au contraire, il s’agit d’émouvoir la pitié, de repousser l’accusation comme une calomnie. Les lieux communs à l’usage de l’une et l’autre partie consistent à parler pour ou contre les témoins, pour ou contre les tortures, pour ou contre les arguments, pour ou contre la rumeur publique. En faveur des témoins, on fera valoir leur gravité, leur conduite, la constance de leurs dépositions ; contre eux, on alléguera la turpitude de leur vie, la contradiction de leurs témoignages. On soutiendra que le fait n’a pu arriver, ou qu’il n’est point tel qu’ils le disent, ou qu’ils n’ont pu le connaître, ou que la passion inspire leurs paroles et leur raisonnement. C’est ainsi que l’on attaque ou que l’on soutient les témoignages.

VII. Pour justifier les tortures, nous ferons voir que c’est pour découvrir la vérité que nos ancêtres l’ont voulu chercher par les tourments et par les souffrances ; et que c’est l’excès de la douleur qui contraint les hommes à dire tout ce qu’ils savent. Ce moyen de discussion aura d’ail-