Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/247

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tune ; nous aussi nous avons été heureux ; songez que vous êtes homme. Mais celui-ci : Livre-moi ton époux et cesse de me fatiguer les oreilles par tes lamentations. Il ne m’échappera pas. On annonce au mari que sa maison est envahie par un homme qui la fait retentir de menaces de mort. À cette nouvelle : Gorgias, dit-il, fidèle serviteur de mes enfants, cachez-les, protégez-les, faites qu’ils puissent arriver à l’adolescence. Il avait à peine achevé, que son ennemi lui adressant la parole : Tu as l’audace de me faire attendre ? Ma voix ne t’a pas anéanti ? Viens assouvir ma haine ; viens, que ma colère se rassasie de ton sang. Le vieillard faisant un noble effort : Je craignais, dit-il, d’être complètement vaincu ; mais je le vois, tu ne veux pas paraître avec moi devant les tribunaux, où la défaite est honteuse et le triomphe honorable ; tu veux me tuer. Eh bien l je périrai assassiné, mais non pas vaincu. Quoi ! réplique le barbare, à ton heure dernière, tu parles encore par sentences ? et tu ne veux pas supplier celui qui l’emporte sur toi ? Hélas ! il vous implore, il vous supplie, s’écrie la femme ; laissez-vous émouvoir : et vous, mon époux, au nom des dieux, embrassez ses genoux. Il est votre maître, il vous a vaincu, c’est à vous de vous vaincre vous-même. — Pourquoi ne pas mettre fin, chère épouse, à des discours indignes de moi ? N’ajoutez pas un mot, et songez à votre devoir. Et toi, que tardes-tu à m’arracher la vie, et à te condamner par ce meurtre à toute une carrière de crimes ? Le vainqueur repousse la femme qui continuait de gémir ; et comme le père de famille allait prononcer encore quelques mots dignes de son courage, il lui plonge son épée dans le sein. » Je crois que, dans cet exemple, on a donné à chacun un langage convenable, ce qu’il faut avoir soin de faire dans cette figure. Il y a encore des dialogismes par induction. Ainsi : « Que devons-nous penser que l’on dise, si vous portez ce jugement ? Tout le monde ne dirait-il pas, etc. » Et l’on suppose ensuite le discours.

LIII. La Prosopopée est une figure par laquelle on met en scène une personne absente, et l’on donne un langage ou une forme aux choses muettes, aux êtres abstraits, en les faisant parler ou agir d’une façon convenable. Par exemple : « Si notre Rome invincible élevait la voix, ne vous dirait-elle pas : Malgré ces nombreux trophées qui font ma gloire, malgré les triomphes éclatants qui m’enrichissent, malgré les victoires dont l’éclat m’enorgueillit, ô citoyens, vos séditions vont me perdre. Moi que les ruses de la perfide Carthage, les forces éprouvées de Numance, le génie et la science de Corinthe n’ont pu ébranler, souffrirez-vous que je sois détruite aujourd’hui et foulée aux pieds par les plus méprisables des hommes ? » — Ou bien : « Si L. Brutus revenait à la vie, et qu’il parût devant vous, ne vous adresserait-il pas ce langage ? Moi, j’ai chassé les rois ; vous, vous introduisez les tyrans : moi, je vous ai donné la liberté, que vous ne connaissiez pas ; vous, qui la possédez maintenant, vous ne voulez pas la conserver : moi, j’ai délivré ma patrie au péril de mes jours, et vous, qui pour-