Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/257

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rend les États florissants ? N’est-ce pas elle qui rassemble sur ceux qui la cultivent, la gloire, les honneurs, les dignités ? N’est-ce pas elle enfin qui offre à leurs amis la protection la plus sûre et la plus puissante ? N’est-ce point la parole qui donne aux hommes d’ailleurs si faibles et si misérables, une supériorité si marquée sur la brute ? Aussi, qu’il est beau de s’élever au-dessus de l’homme parce qui l’élève lui-même au-dessus des animaux ! Si donc on ne doit pas seulement l’éloquence à la nature et à l’exercice, mais aussi à l’étude de l’art oratoire, il ne sera peut-être pas inutile de mettre sous les yeux les préceptes que nous ont laissés les rhéteurs.

Mais, avant de parier des préceptes oratoires, nous expliquerons d’abord ce que veulent dire ces mots de genre de devoir, de fin de matière, de parties. Cette connaissance abrége et facilite l’étude de chaque objet en particulier et permet de considérer l’art dans son ensemble.

V. La science du gouvernement se compose d’une foule de connaissances importantes. Une des principales et des plus étendues est cette éloquence artificielle qu’on nomme rhétorique. Car, sans être de l’avis de ceux qui croient l’éloquence inutile au gouvernement d’un État, nous pensons encore moins que la science du gouvernement soit renfermée tout entière dans l’art du rhéteur. Mais nous dirons que le talent oratoire fait partie de la science du gouvernement ; que le devoir de l’orateur est de parler de manière à persuader que la fin du devoir est la persuasion par le moyen de la parole. Il y a cette différence entre la fin et le devoir, que le devoir indique la marche, et la fin le but qu’on se propose. Le devoir du médecin est de soigner ses malades comme il convient pour les guérir, et la fin, de les guérir par ses soins. Ainsi, pour expliquer ces mots, devoir et fin de l’orateur nous dirons que par devoir nous entendons ce qu’il doit faire, et par fin, le but qu’il veut atteindre.

On appelle matière de l’art la réunion des choses qui appartiennent, soit à l’étude, soit à la pratique d’un art en général. On dit, par exemple, que les maladies et les blessures sont la matière de la médecine, parce que la médecine est tout occupée de ce double objet. Nous dirons pareillement que tout ce qu’embrassent l’art et le talent de l’orateur est la matière de la rhétorique. Cependant les rhéteurs ont assigné des limites plus ou moins étendues à leur domaine. Gorgias le Léontin, un des premiers qui enseignèrent les règles de l’éloquence, voulait que l’orateur fût capable de très bien parler sur tous les sujets qu’on lui proposerait. Il donne ainsi à la rhétorique une matière infinie, et presque sans bornes. Mais Aristote, à qui nous devons tant de si belles et de si excellentes leçons, a jugé que le devoir du rhéteur embrassait trois genres de causes ; le démonstratif, le délibératif et le judiciaire. Le genre démonstratif, qui s’attache aux personnes, a pour but l’éloge ou le blâme. Le délibératif, qui repose sur une question, sur une discussion politique, renferme une opinion. Le genre judiciaire, qui roule sur un jugement à prononcer, comprend l’attaque et la défense, ou les fonctions de demandeur et