Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/258

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défendeur. Nous croyons, comme Aristote, que dans la division de ces trois genres se trouve renfermée toute la matière de la rhétorique.

VI. Hermagoras, en effet, semble ne point songer à ce qu’il dit, et ne pas comprendre tout ce qu’il promet, quand il divise la matière de l’éloquence en cause et en question. Il définit la causa un sujet de controverse soumis à la parole, avec intervention de personnes, objet que nous avons aussi renfermé dans le domaine de l’orateur, par notre précédente division des genres démonstratif, délibératif et judiciaire. Il appelle question un sujet de controverse soumis à la parole, sans intervention de personne, comme Est-il quelque autre bien que la vertu ? Faut-il s’en rapporter au témoignage des sens ? Quelle est la figure du monde ? la grosseur du soleil ? questions qui doivent assurément paraître fort étrangères au devoir de l’orateur. N’est-ce pas, en effet, une insigne erreur que d’attribuer à l’éloquence, comme des sujets à traiter en passant, des questions que le génie de nos philosophes les plus profonds, soutenu d’un travail infatigable n’a pu encore éclaircir ? Quand même l’étude et des connaissances immenses auraient aplani pour Hermagoras toutes ces difficultés, il n’en aurait pas moins, plein de confiance dans une vaste instruction, mal défini le devoir de l’orateur, et tracé les limites de ses connaissances, et non pas celles de l’art. Mais telle est, à dire vrai, l’idée qu’on doit avoir de cet homme, qu’il serait plus facile de lui ôter le titre de rhéteur que de lui accorder celui de philosophe. Ce n’est pas que le traité de rhétorique qu’il a publié me semble renfermer beaucoup d’erreurs ; car il recueille et dispose avec autant de goût que d’exactitude les meilleurs préceptes des anciens, et il lui arrive même quelquefois d’y mêler des observations qui lui appartiennent ; mais, parler sur l’art oratoire (et c’est ce qu’il a fait ) n’est rien pour l’orateur il doit surtout parler suivant les règles de cet art et il est facile de le voir, ce talent manquait à Hermagoras. Ainsi nous adoptons l’opinion d’Aristote sur la matière de la rhétorique.

VII. Les parties sont, comme on l’a si souvent répété, l’invention, la disposition, l’élocution, la mémoire et le débit. L’invention trouve les moyens vrais ou vraisemblables qui peuvent soutenir la cause. La disposition est l’art de les distribuer et de les mettre en ordre. L’élocution revêt des idées et des expressions convenables les choses créées par l’invention. La mémoire retient d’une manière sûre et inaltérable les pensées et les mots. Le débit règle le geste et la voix, et les proportionne aux idées et aux paroles.

Ces principes une fois posés en peu de mots, je remets à un autre temps ce que j’aurais à dire sur le genre, le devoir et la fin de la rhétorique ; car j’aurais besoin de longs développements qui n’appartiennent pas si intimement à l’exposition des préceptes de l’art ; et, pour faire un traité de rhétorique, il faut s’occuper surtout de la matière de l’art et de ses différentes parties. Telle est mon opinion, et il me semble convenable de traiter ces deux objets à la fois. Je vais donc parler de la matière et des parties de l’art. Comme l’invention est la première de toutes, nous commencerons par la considérer dans tous les genres de causes.